Amalia

Aude Picault

Dargaud

  • Conseillé par (Libraire)
    24 janvier 2022

    Dérangeant, politique et utile

    C’est une Bd dont les premières pages se succèdent à une vitesse folle. C’est une BD qui fait la part belle à un Diable contemporain. La vitesse c’est celle à laquelle est soumise Amalia dès le lever d’une journée rythmée par la douche de la petite Lili, le petit-déjeuner, le départ à l’école, l’arrivée au travail et le soir le rangement de la maison, le pyjama, la lecture au lit. Le Diable c’est la pression de la performance: la maison impeccable, les résultats au travail. Cela s’appelle aussi la perfection. Ce qui épuise Amalia « c’est de vouloir tout contrôler, tout ranger, toujours inquiète de ne pas être assez bien ».

    Le double constat, vie intrépide et performance, est connu. Pourtant Aude Picault apporte ici un regard neuf car global sur l’existence menée aujourd’hui par des millions de familles qui subissent leur quotidien au rythme des aiguilles d’une horloge dictatoriale et d’un idéal de comportement dont on se rend compte qu’il résulte essentiellement de directives économiques. Amalia n’est pas la super nana de Michel Jonasz. Elle vit dans une famille recomposée avec Karim, son homme pendu à l’actualité, pas très réjouissante, rythmée par les attentats, la pollution, et sa belle fille Nora, jeune adolescente en pleine crise, plus préoccupée de ses « like » que de son bac blanc. Omniprésence des écrans, actualité permanente anxiogène, moments d’intimité oubliés, repas morcelés, Aude Picault semble avoir posé des caméras dans des milliers de maisons, pavillons, appartements de familles françaises. On regarde et on se regarde comme dans un miroir sans tain. Tout est vrai, tout est vécu, de ces petits jouets qui traînent dans l’escalier et qu’il faut ranger à la promotion professionnelle de « Team Leader » pour permettre « de révéler tout son potentiel ».

    Ce surmenage familial collectif n’est pourtant pas le seul sujet de la BD et les personnages perçus comme secondaires permettent de révéler d’autres travers de notre société: les influenceuses du net, l’industrie agro alimentaire dénuée de tout respect de l’environnement, la « mal bouffe » industrielle, traversent l’album donnant au sujet principal de la charge mentale une toile de fond nécessaire. Une médecin, en visio, modernisme oblige, dit à Amalia qu’« il s’agit d’équilibrer la dépense quotidienne d’énergie et le temps de récupération (…). Ce n’est pas que médical c’est philosophique ». Si le corps a besoin d’aide, la tête a besoin de réfléchir.

    Pas de désespérance finalement car comme conclue Amalia après avoir modifié le cours de son existence, « Le chaos c’est la vie ». Ce chaos qui laisse trainer les jouets dans l’escalier, un peu de poussière sur les meubles, ou une vaisselle mal rangée mais qui s’organise quand le bleu du ciel vous étreint ou la plante verte moribonde reprend vie. Et comme Karim, Aude Picault nous invite à une véritable leçon de vie: « Y’a plein de choses à faire! Et ce n’est pas demain qu’on va s’y mettre, c’est maintenant ».